mercredi 11 janvier 2012

Coup de coeur pour les khmers


Une frontière sur le fleuve
Une fois n'est pas coutume, nous franchissons la frontière entre le Vietnam et le Cambodge non pas à vélo, mais confortablement installés à bord d'une embarcation pour touristes, qui remonte le Mekong jusque Phnom Penh.


Mais ce qui nous change surtout, c'est d'arriver dans un pays par sa capitale, et non par ses confins : une petite heure après avoir franchi la ligne frontalière sur le Mekong, notre bateau longe la promenade de Phnom Penh, où une ribambelle de drapeaux flotte au vent devant les toits dorés du Palais Royal, puis accoste en plein centre-ville.

Mutilés et Land Cruiser
Phnom Penh est une très charmante petite capitale. Certes, il y a des inégalités criantes : ces enfants qui fouillent dans les poubelles, ces mutilés qui mendient à tous les coins de rue, ces vieillards qui errent en guenilles, alors que les riches cambodgiens circulent dans des 4x4 rutilants, Mercedes, Lexus ou Land Cruiser. C'est le lot de toute capitale que de réunir la plus extrême pauvreté et la plus grande richesse ; mais ici plus qu'ailleurs, le contraste nous saisit.

Femmes devant un temple de Pnom Penh

Mais il y a tout le reste, les jolis temples, les maisons coloniales, les avenues bordées d'arbres, et surtout cette animation permanente : les séances de taï-chi ou de fitness en pleine rue, dans la lumière du petit matin ; les joueurs de football, de badminton, de volley ou de tot-sey *, qui envahissent les parcs et les esplanades en fin d'après-midi ; les ados qui se retrouvent sur la promenade à la nuit tombée pour faire du hip-hop...
* tot-sey : sport populaire au Cambodge, qui se joue en cercle avec un petit volant genre badminton. Lire cet article...

Khmers Rouges
En voyant cette frénésie, on a du mal à s'imaginer la ville fantôme, entièrement vidée de sa population par les Khmers Rouges, il y a 35 ans. Et pourtant. En 1975, la guérilla qui se bat depuis plusieurs années contre le régime corrompu du général Long Nol, marche sur Phnom Penh et annonce « la libération » du pays. La population exulte de voir s'achever la guerre civile, mais ce qui les attend est bien pire : les Khmers Rouges sont des idéalistes fanatiques qui rêvent de transformer le pays en une gigantesque coopérative agricole maoïste.
Ils vont orchestrer la révolution la plus brutale de l'histoire du monde : en quelques semaines à peine, ils suppriment totalement la monnaie, font disparaître usines et voitures (considérés comme un héritage de la société impérialiste), font évacuer toutes les villes, et réduisent tous les habitants à l'état de simples ouvriers agricoles, condamnés à exécuter dans les champs les ordres de « l'Angkar » (l'organisation).

Les prisonniers politiques étaient torturés dans cette prison, Toul Sleng, à Pnom Penh.
Aujourd'hui trasnformée en musée du Génocide.


Tous les intellectuels sont impitoyablement éliminés, ainsi que ceux qui osent manifester leur désaccord avec la politique de l'Angkar. Mais la majorité des 2 ou 3 millions de morts sont victimes des conditions de vie terribles qui sévissent alors dans les campagnes.
Cette affreuse page de l'histoire s'achèvera en 1979, quand les voisins vietnamiens viendront envahir le pays pour faire tomber ce régime de terreur. Mais les Khmers Rouges resteront longtemps actifs, d'autant plus que les occidentaux continueront de les soutenir pendant une dizaine d'années...
Une lecture incontournable sur le sujet : Tu Vivras Mon Fils, de Pin Yathay.

Sur la route d'Angkor
30 km après Phnom Penh, crevaison arrière pour Thomas. La faute au pneu, qui commence à faiblir après plus de 13 000 km de bons et loyaux services. Il est déformé maintenant, et à chaque tour de roue le vélo fait un petit « bodom » fort désagréable... Tiendra-t-il jusqu'à Bangkok ? ;-)
A Skun, nous logeons dans la famille d'Aya, et passons la soirée avec un groupe de voisins venus nous dire bonjour et trinquer au vin de palme. Les hommes sont assis en cercle sur une natte, ils chantent des airs un peu faux, rigolent pour un rien ; l'un d'entre eux saisit un seau et joue des percussions, puis mon voisin de gauche s'empare d'une branche de palmier pour jouer de la guitare électrique. J'échappe à la beuverie – le vin de palme n'est pas ma boisson favorite – pour rejoindre Élise et déguster un poulet mariné au citron et au gingembre accompagné d'une bonne plâtrée de riz.


Le sur-lendemain, 31 décembre, nous prenons une chambre dans la petite ville de Kampong Kdei. Nous emmenons nos petits vélos à laver chez le « Rua-xé » (les voilà bichonnés au chiffon et à la mousse, ils sont tout contents !), et rencontrons Meas, qui nous invite à dîner ce soir dans sa famille pour fêter le réveillon !
Sur le modeste balcon de la maison en pilotis, à la lumière d'une ampoule, nous partageons un festin fait de poisson de rivière, de curry de poulet et de riz, tout en écoutant le récit de la vie tourmentée de sa mère, veuve à 30 ans, qui a du élever seule ses trois enfants et ceux de sa sœur. En dehors du salaire de Meas, employé sur le site d'Angkor (200$ par mois), les revenus de la famille sont bien minces. Le frère rapporte 1,25$ par jour en vendant sur le marché des bananes et des fruits cueillis dans la forêt. On rentre se coucher bien avant les douze coups de minuit, mais qu'importe, nous avons appris plein de choses intéressantes, rencontré une famille adorable, et avons pu glisser en partant un petit billet à la maman...

Siem Reap, un goût fugace de sédentarité
Le 1er janvier à 13h, nous arrivons à Siem Reap, troisième ville du pays et destination touristique incontournable pour visiter les temples d'Angkor. Nous y restons une semaine, du jamais vu depuis Istanbul !

Angkor Vat

On loge chez Seyha, un cambodgien qui monte une activité de guide touristique à vélo dans le secteur, puis chez Vincent, un français expatrié qui travaille ici depuis 2 ans pour une ONG. Nous remplissons nos journées à prendre des cours de cuisine, à intervenir dans une école (voir ci-dessous), à visiter, bien sûr, les spectaculaires et incontournables temples d'Angkor, à préparer la suite de notre route en Thailande, ou encore à retrouver des amis francophones de rencontre pour prendre un verre... Le temps d'une semaine, on renoue un peu avec la sédentarité, pour notre plus grand plaisir !

Le volontourisme en débat
L'idée nous trottait déjà dans la tête de nous poser quelque part, et de chercher à « faire quelque chose » dans une école, un orphelinat ou une petite ONG. Une bien belle intention qui nous conduit à découvrir le petit monde du volontourisme : de plus en plus d'occidentaux qui cherchent à « voyager autrement » font appel à des agences spécialisées qui les envoient pendant 2 semaines dans des ONG locales, où ils viennent, par exemple, donner des cours d'anglais à des orphelins. Beaucoup de voyageurs sac-au-dos improvisent aussi, comme nous, un « volontariat » de quelques jours dans telle ou telle association, située sur leur itinéraire.
Mais cette pratique, qui devient un phénomène de masse dans les pays comme le Cambodge où abondent à la fois les ONG et les touristes, pose certaines questions : Quid des compétences des volontouristes, de leur connaissance du contexte ? Quid de l'impact sur l'emploi local ? Le ferait-on, ou le laisserait-on faire, en France ?


A Siem Reap, de plus en plus d'organisations profitent du flot de bonnes volontés pour faire rentrer de l'argent (beaucoup de volontouristes paient pour travailler...), quitte à transformer les écoles et les orphelinats en zoos. Et à la nuit tombée, on trouve encore des enfants vagabonder dans les rues pour distribuer des tracts invitant les touristes à venir visiter leur orphelinat ! Est-ce bien sérieux ?
Un site à visiter à ce sujet : http://www.thinkchildsafe.org/fr/index.html
Nous passons tout de même quelques jours dans un centre tenu par des britanniques, et intervenons dans chacune des classes en racontant, en anglais, notre périple de la France jusqu'au Cambodge.
Bien persuadés malgré tout, avec le recul, que nos multiples petites dépenses quotidiennes, réparties tout au long de la route, dans d'innombrables petites échoppes, dans des marchés de villages et des logements chez l'habitant, ont été bien plus « utiles » que ces quelques leçons d'anglais...

En bateau pour Battambang
Nous quittons Siem Reap à bord d'un bateau qui traverse le lac Tonle Sap, immense réservoir tampon qui absorbe les crues du Mekong, pour rejoindre, sur l'autre rive, la ville de Battambang. La majorité des passagers sont des touristes, mais il y a aussi quelques locaux qui embarquent ou débarquent dans les villages flottants que nous traversons.

Le bateau pour Battambang se faufile dans les marais, sur le lac Tonle Sap.

Sur la rive Sud du lac, des centaines d'hectares de marais et de rizières sont inondés ; le bateau se fraie un passage au jugé, en essayant de suivre le cours de la rivière. Parfois il s'engage dans d'étroits canaux, forçant le passage au milieu des arbres. Plus loin, on voit défiler les habitations temporaires et précaires des pêcheurs, de simples huttes faites d'un morceau de bâche tendu entre quatre bambous...
Nous restons deux jours à Battambang, très chaleureusement accueillis dans la famille de Sarin, Sytha et leurs deux adorables enfants. Eux non plus n'ont pas eu une vie très très facile, entre le travail au casino à la frontière thaïlandaise Puis, bien reposés, nous reprenons la route, à vélo cette fois.
Nous quittons le Cambodge avec des souvenirs de rencontres pleins la tête. Peut-être notre coup de cœur de l'Asie du Sud-Est ? Derrière la frontière thaïlandaise, c'est la dernière ligne droite pour Bangkok, encore distante de 350 km...

Les photos :
20120110 - Cambodge

1 commentaire:

Anna-Gwenn a dit…

bonne année à tous les deux! on a pensé à vous le soir du réveillon. a très bientôt ;)