samedi 10 décembre 2011

Au pays du million de sourires

Un petit bonjour à tous avant de passer la frontière du Vietnam... Voici les dernières nouvelles de notre passage au Laos. Bonne lecture !

Luang Prabang, refuge des derniers rêveurs...
En 1909, Marthe Bassene, française mariée à un médecin colonial, écrivait dans son journal :
« Oh, quel délicieux paradis du farniente que ce pays protégé du progrès et de l'ambition dont il n'a pas besoin par un courant violent [celui du Mékong]. Luang Prabang sera-t-elle, dans ce siècle des sciences exactes, des profits rapides et du triomphe de l'argent, le refuge des derniers rêveurs, des derniers amoureux et des derniers troubadours ? »
A l'époque, il fallait davantage de temps pour remonter le fleuve Mékong, de Saigon jusqu'ici, que pour traverser les océans en bateau à vapeur de Saigon jusqu'en France...
De l'eau a coulé dans le Mékong depuis. Le Laos s'est ouvert au tourisme en 1989, et l'UNESCO a classé la ville au Patrimoine Mondial de l'Humanité. Aujourd'hui, Luang Prabang est un haut-lieu du tourisme au Laos, et c'est bien sûr la première chose qui saute aux yeux quand on y arrive...


ou escale bien méritée pour cyclistes fatigués ?
Dans un des nombreux temples disséminés dans la ville, nous nous attardons discuter avec un groupe de jeunes moines : ils nous racontent être entrés dans les ordres pour pouvoir étudier gratuitement ; puis ils se passionnent par la carte du Laos que nous leur déplions, et sur laquelle ils s'amusent à situer les villes et les villages dont ils sont originaires...
La nuit tombée, dans ces mêmes temples, les moines se regroupent pour la prière du soir devant la statue de Bouddha : d'harmonieuses polyphonies graves s'élèvent et résonnent dans les rues apaisées de la ville.
On reste ainsi trois jours à « se reposer » dans cette ville charmante et tranquille... Ça fait du bien de s'arrêter un peu : voilà près d'un mois que nous n'avions pas dormi 2 nuits de suite au même endroit (c'était à Litang), et plus de deux mois pour 3 nuits au même endroit (c'était à Shanghai) !...


Les deux facettes du tourisme au Laos
Sur notre route, au hasard du petit matin, près des petits temples de village, nous avons déjà assisté à la tradition de l'aumône : ces moines qui se lèvent très tôt le matin pour sortir recueillir dans leurs écuelles le riz que les habitants du quartier viennent leur offrir, agenouillés sur le trottoir.
Les moines de la ville de Luang Prabang sortent aussi faire l'aumône, mais ils doivent maintenant le faire sous le regard curieux de dizaines de touristes, amassés aux terrasses des cafés, perchés en haut de leur autocar, brandissant sous leur nez un téléobjectif Canon... Un spectacle assez triste au final, que nous n'avons pas observé, mais que deux amis de voyage nous ont décrit.
Il se dit que sous la pression du tourisme de masse, le chef de la communauté des moines a récemment menacé la ville de quitter Luang Prabang, considérant que la quantité de touristes, et le comportement intrusif et irrespectueux de certains d'entre eux, empêchaient les moines de pratiquer leur religion...
Malgré tout, il reste délicat de se faire une idée arrêtée sur l'impact, positif ou négatif, du tourisme au Laos. Car à côté, nous sommes agréablement surpris de voir fleurir de toutes part, dans les « vitrines » des agences de voyage de Luang Prabang ou dans les récits d'autres voyageurs que nous croisons, tout un tas d'initiatives de tourisme « alternatif », à la rencontre des communautés, loin des grands sites touristiques : randonnées dans les villages, séjours chez l'habitant...


Itinéraire bis
Pour la suite du trajet, nous voulons « boycotter » Vang Vieng, où déferlent les bouées de la honte (voir à ce sujet un article dans le CourrierInternational n°1098)... Depuis Luang Prabang, nous concoctons donc un itinéraire alternatif : nous pédalons 2 jours vers le Sud, sur la route 13, puis bifurquons à l'Est vers Phonsavanh, que nous atteignons encore 2 jours plus tard.
Sur la route, nous déjeunons de maigres bols de soupe aux nouilles ; nous cuisinons parfois notre dîner - riz et poêlée de légumes - ou retournons dans une gargotte pour une autre soupe aux nouilles...
Le soir à l'étape, lorsque nous sortons le réchaud à essence, nous provoquons parfois un petit rassemblement de gamins curieux, qui sautent de peur devant la petite « explosion » à l'allumage de la flamme de préchauffage, puis s’exclament de surprise lorsque apparaît la petite mais puissante flamme bleue... Ici, tout le monde cuisine au bois.


Attention, UXO !
La région de Phonsavanh fut, il y a plus de 40 ans, le théâtre caché d'une guerre secrète : avant même de s'engager dans le conflit au Vietnam, le Président Kennedy souhaitait endiguer la progression du Pathet Lao, le parti communiste lao : les Hmong, un groupe ethnique de cette province du pays, furent choisis pour cette mission. La CIA créa de toutes pièces une base militaire secrète où des milliers de jeunes Hmong, recrutés dans les villages, furent formés au combat.
Par la suite, les Hmong ne réussissant pas à faire battre en retraite le Pathet Lao, les Etats-Unis envoyèrent leurs bombardiers B52, toujours à l'insu du sénat et du peuple américain. Pendant 9 ans, des milliers de bombes à fragmentation furent larguées sur le Laos, chacune d'entre elles s'ouvrant en deux pendant sa chute, et laissant s'éparpiller des centaines de petites « bombies », grosses comme une grenade.
Deux bombies sur trois explosaient en arrivant au sol, tuant dans un rayon de 30 m autour d'elles. La troisième, elle, restait là, et devenait ainsi un « UXO », unexploded ordnance, une bombe non explosée...
Encore aujourd'hui, ces UXO dispersés dans tout le pays par millions continuent de faire de terribles dégâts : ils tuent ou mutilent très lourdement les paysans qui les déclenchent par mégarde en charruant leur champ, les enfants qui les trouvent et veulent jouer avec, ou les petits trafiquants qui veulent revendre leur trouvaille pour son pesant d'acier...


Sur la piste de Paksan
De Phonsavanh, nous nous engageons sur une route qui doit nous ramener sur les rives du Mekong, au niveau de Paksan. Nous avons eu peu d'informations sur son état, et celles que nous avons sont peu encourageantes.
Nous quittons le bitume après Muang Khoune, à 30 km de Phonsavanh, en nous attendant au pire pour les jours à venir. Mais finalement, le relief nous est favorable, et la piste pas si terrible : nous roulons 80 km pour atteindre la petite ville de Thathom. Le lendemain, nous traversons deux larges passages à gué, l'un en pirogue, l'autre avec de l'eau jusqu'aux genoux... sans difficulté. Et le surlendemain, nous retrouvons la route 13 et le Mékong, qui contrairement à nous, a pris de l'embonpoint : la grosse rivière que nous avions connu en Chine, qui était devenue un beau fleuve à Luang Prabang, est maintenant un des grands de ce Monde, un fleuve large et puissant, vraiment majestueux. A quelques centaines de mètre, sur la rive d'en face : la Thailande !


Thathek : séparation et retrouvailles
Il peut arriver que nos envies divergent... Jusque là, le compromis l'a toujours emporté ; mais cette fois-ci nous décidons, pour la première fois, de faire route à part : Elise est vraiment fatiguée par les dix jours pédalés depuis Luang Prabang... Elle file tout droit sur la route 13 pour rallier Thathek, ville étape suivante, dès le lendemain, et s'y reposer un peu.
Quant à Thomas, il est attiré comme un aimant par un détour de 200 km dans les montagnes, pour découvrir de surprenants reliefs karstiques et une fantastique rivière souterraine de 7 kilomètres de long...
Trois jours plus tard, nous fêtons nos retrouvailles à Thathek – retrouvailles surprises car Thomas a roulé 160 km (dont 75 de piste) le dernier jour pour arriver plus tôt ! Comme c'est rafraîchissant d'avoir des tas de choses à se raconter !


Au delà du sabaydee...
Une sorte de déception nous habite depuis quelques jours : celle de nouer très peu de contacts avec les Lao. Les « sabaydee » (bonjour) fusent sur notre passage, les sourires sont partout, et cela fait beaucoup de bien après la froideur des chinois... Mais derrière cette chaleur du premier contact, il n'y a jamais grand chose. Nos discussions avec les locaux sont inexistantes, ou vraiment très courtes.
Les « guesthouses » où nous dormons la plupart du temps ne sont pas les chaleureuses chambres d'hôtes chez l'habitant que nous imaginions, mais plutôt des petits hôtels anonymes et sans charme... Dans un village où nous arrivons à la nuit tombante, nous demandons un toit pour dormir et finissons, seuls, dans l'école : aucun adulte ne viendra s'intéresser à nous. Un autre jour, nous demandons l'hospitalité dans un temple et y dormons, sans pouvoir engager d'échange avec aucun des moines... Et toujours cette fichue barrière de la langue...


Le beurre salé de Paksé
Nous continuons de longer le Mekong, passons Savanakhet, jolie bourgade coloniale, puis atteignons Paksé. A peine arrivés, nous filons droit au consulat vietnamien : stupeur et étonnement, nous obtenons notre visa en 10 minutes chrono ! On connaît des fonctionnaires consulaires en Asie centrale qui feraient fort bien de venir faire un petit stage par ici !
Nous retrouvons ensuite Yannick et Isabelle, des amis d'une collègue de Thomas, qui travaillent ici depuis 3 mois dans des projets de coopération. Discuter avec eux (qui plus est avec l'accent finisterien...) de commerce équitable, d'éco-tourisme et du mode de vie lao est forcément passionnant... Un grand merci à vous pour votre accueil, et on s'excuse encore d'avoir fichu une raclée à la plaquette de beurre salé !


Ca dépulpe sur les Bolaven !
Nous reprenons la route mercredi, quittons le Mékong, et grimpons vers l'Est sur le plateau des Bolaven. Yannick, qui travaille pour l'Association des Groupements de Producteurs de Café du plateau, nous a donné quelques tuyaux : nous nous arrêtons ainsi au village « km 40 » (sur cette route, les villages portent les noms des bornes kilométriques!) pour y rencontrer Sane, un producteur de café qui nous hébergera cette nuit. Sane nous fait visiter sa plantation et partage avec nous sa passion du café... une chouette étape !
Les paysans du secteur sont bien occupés ces temps ci : c'est la récolte du café, et il faut dépulper les cerises, puis laver et sécher les grains dans la foulée. Dans les villages, une odeur de matière organique fermentée se dégage des petites fermes et des coopératives de café. Le soir venu, les paysans se regroupent pour l'opération de dépulpage, qui nous rappelle beaucoup les soirs de vendanges...


Nous poursuivons notre route à travers le plateau, en direction de la chaîne anamite, barrière naturelle entre le Laos et le Vietnam : encore une nuit chez l'habitant, et nous voici arrivés à Attapeu, à 100 km de la frontière. Nous serons demain au Vietnam. A tout bientôt !

Les photos :
20111209 - Laos 2

5 commentaires:

Jaja a dit…

vous êtes en train de faire de not' chanson un tube à l'international, c'est parfait, moi qui pensais faire carrière, vous prémâchez le boulot, c'est nickel ! (rapport à la photo)
Bon, les loulous, j'donne des nouvelles du front loguivien bientôt, je vois que vous continuez votre route vers le paradis, mon vieux, j'ai hâte tiens, de vous inviter à l'apéro !
des bises,

Le canoniste a dit…

Rien a dire sur le contenu des morceaux de voyage que vous nous faîtes partager. C'est toujours passionnant et souvent émouvant.

Toutefois, en mon âme et conscience, je ne peux laisser passer une information qui n'est pas tout à fait exact...

Il est difficile de croire que des possesseurs d'objectifs Canon soit si peu courtois!

Mais bon c'est toujours pareil avec les nikonistes, hein Tom!!

;o)

philippe du Mans a dit…

ouaaah magnifiques photos !!!!
je m'imagine déja passer les rivières poussant mon vélo Décat' !!!!
quel rève !!! dommage que la pauvreté existe encore partout dans le monde !!! alors rèvons d'un monde meilleur, plus juste , ensoleillé !!!!

Anonyme a dit…

Je vous félicite pour vos splendides vues du Laos et de la vie de ces si attachants laotiens. Votre impression d'indifférence des laotiens envers vous n'ait due qu'à une seule chose: votre méconnaissance (et ce n'est pas de votre faute) du laotien. Il ajouter à celà les habitudes Lao liées au Bouddhisme hinayana qui imprègne la vie quotidienne: réserve,certitude que tout est éphémère, importance du sourire quand "on" ne sait pas quelle attitude à tenir en face des "falangs" etc...Derrière tout celà se cache une culture très riche et passionnante. Ceci dit vous avez parfaitement bien fait de quitter la N13 et vous savez très bien sortir des banalités touristiques.

Dr Jean LE MEE / Beg Leger 22300 Lannuon- Brittany.

Anonyme a dit…

bonjour vous deux

L'an prochain, quand vous mangerez votre dinde de noël, vous repenserez avec émotion à votre soupe de légumes, poisson tilipia grillé, rôti de porc, rouleaux de printemps, riz, patates douces sautées et ananas du Vietnam...alors, la dinde peut attendre ! Profitez encore des jours qui restent ! Bonnes fêtes de fin d'année
Michèle (Cyan)