dimanche 6 novembre 2011

Un petit flirt avec le Tibet


Les frontières du Tibet sont actuellement, pour des raisons politiques, fermées aux étrangers en dehors de circuits touristiques organisés. Pas de permis pour le Tibet pour les voyageurs indépendants donc... et a fortiori pour des cyclistes, par définition libres comme l'air !
Mais, sans franchir les frontières du Tibet administratif, on peut facilement s'immerger dans sa culture et ses paysages en sillonnant les confins des provinces voisines du Sichuan et du Yunnan, majoritairement peuplés de tibétains.

Kangding, les préliminaires
Kangding, où nous arrivons à vélo le 21 octobre, n'est « qu'à » 2500 m d'altitude. Il y a encore des grands immeubles dans le centre, mais la ville dégage déjà pour nous les premiers effluves du Tibet : les ponts sont couverts de drapeaux colorés qui battent au vent, et on repère déjà dans les rues des moines en robe rouge et orange, et des paysans à l'allure montagnarde. Leurs faciès rappellent à Thomas les indiens quechua du Pérou : chapeaux en feutre, chaussures de cuir, enveloppés dans une sorte de large toge brune, les pommettes rouges et les visages profondément marqués par le soleil et l'altitude. C'est ici que nous visitons notre premier monastère bouddhiste tibétain, magnifique bâtisse en bois pleine de couleurs et de vie...
Il ne fait déjà plus très chaud ici, alors on apprécie les doudounes et les grosses paires de chaussettes tout en se demandant qu'est-ce-qu'il en sera 2000 mètres plus haut...

L'approche en bus
La route pour Litang est en travaux sur 290 kilomètres, ce qui rend la chaussée bien pire qu'une mauvaise piste. Nous embarquons donc dans un bus pour un trajet de 12 heures, de col en col, à plus de 4000 mètres d'altitude, sur une chaussée défoncée par de récentes coulées de boues et par des travaux sans queue ni tête. De plus une petite tempête de neige balaie les hauts cols que nous traversons... par la fenêtre, on aperçoit un cycliste dans l'autre sens : ben nous, on ne regrette pas d'être dans le bus !
Les maisons chinoises en toits de pagode ont brutalement fait place à de belles bâtisses tibétaines, aux murs en pierre et aux toits plats. Chaque col est signalé par un stupa (sanctuaire), et par des ribambelles de drapeaux de prière : les tibétains croient qu'une prière s'envole chaque fois qu'un drapeau claque au vent.
Le bus frôle régulièrement les à-pics, et le chauffeur semble prendre un malin plaisir à dépasser les poids lourds par l'extérieur dans des virages sans visibilité... mais on vous épargnera ici le récit classique des voyages en bus dans les montagnes du bout du monde ! On arrive finalement à Litang sans pépin notoire (ce qui est rare pour ce genre de trajet) en fin d'après-midi.

Litang, le passage à l'acte
Litang s'étend paisiblement à 4000 mètres d'altitude. En s'éloignant un peu du centre-ville, en remontant vers les faubourgs Nord, on arrive au cœur d'un vrai petit village tibétain : maisons en pisé aux fenêtres joliment encadrées, ornées de longues ribambelles de drapeaux colorés. Plus haut se dresse une lamaserie richement décorée, où défilent hommes et femmes recueillis, mais souriants : ils suivent une sorte de chemin de croix en faisant tourner sur leur passage les moulins à prière disposés en allée tout autour du temple. Certains récitent à haute voix d'un ton monocorde les mantras (prières).
Lafuma fabrique d'excellentes polaires rouges et North Face de très seyantes vestes oranges, ce qui fait que nous croisons plusieurs moines habillés comme des alpinistes, bien protégés du froid qui règne à cette altitude, tout en respectant le code couleur du bouddhisme tibétain ! C'est un spectacle assez amusant...
Nous nous attardons avec un groupe d'hommes assis au pied d'un stupa brillant de blancheur, qui discutent tranquillement tout en faisant tourner leur mini-moulin à prière portatif. Premiers mots de tibétain soufflés par notre petit guide, succès garanti... Quelle joie de retrouver ce plaisir simple, celui de discuter avec les locaux...

Cyclo-rencontre
A l'auberge où nous logeons, nous rencontrons quatre joyeux suisses aux noms en S : Steve et Sarah, et Sacha et Simone. Tous les quatre voyagent aussi à vélo, depuis Istanbul pour les uns, Pékin pour les autres. Et tous les quatre vont dans la même direction que nous : le Sud de la Chine, puis le Laos.
Ce soir là, autour d'une bonne fondue sichuanaise (légumes, fruits de mer et morceaux de viande pris à la baguette, et saisis dans une bassine d'huile pimentée bouillante encastrée dans la table), on discute avec ardeur de nos tentes, de nos tapis de sol, de nos réchauds... bref, de matos et de pépins techniques. Une vraie conversation de cyclos ! Et puis tiens, pourquoi ne prendrions-nous pas la route ensemble jusque Shangri La, à 450 km d'ici ? Voilà une idée séduisante pour nous qui appréhendions un peu ce premier trajet en haute montagne... En selle !

Très longues ascensions
La route de Shangri La est une succession ininterrompue de longues ascensions (10,20,30 km), de hauts cols, et de grandes descentes. Pendant 8 jours, les cols se suivent et ne se ressemblent pas : petit col noyé dans une forêt touffue, ou haut col perché sur une crête désertique, balayé par un vent glacial ; col plat ou col pointu ; col orné de drapeaux ou flanqué d'un stupa...
Lorsqu'on arrive en haut, on s'attend tous les six, on crie de joie et on se congratule mutuellement, on grignote des biscuits secs, on se change pour enfiler la tenue de descente (doudoune, sur-chaussures et cagoule...), et surtout, on sacrifie à la tradition locale en jetant au vent des petits papiers de prière : instants magiques immortalisés au retardateur...
Nous traversons des hauts plateaux rocailleux désertiques, jonchés de flaques tourbeuses, peuplés de cailloux et de yaks ; puis des vallées forestières que l'automne gagne peu à peu : les versants verdoyants se colorent d'or et de bordeaux, et les feuilles volent sur notre passage.
Peu avant le col de Tuer, on dépasse des ouvriers allongés par terre, occupés à creuser des trous sur le bord de la route avec des outils ridicules (une louche ficelée sur un bâton avec du fil de fer) afin de pouvoir y enfoncer des poteaux. Il doit faire en dessous de 0°C, et ils sont une douzaine à s'affairer là, hommes, femmes, et même un gamin de 5 ou 6 ans qui attend à côté...
Le trafic est faible, quasi-nul : une dizaine de camions dans la journée, des minibus de temps à autre, et des 4x4 flambant neufs de touristes chinois qui s'arrêtent rarement, préfèrent tendre l'appareil photo par la fenêtre pour immortaliser le paysage, ou même nous prendre en photo nous, ces écervelés d'européens qui préférons parcourir la route à vélo...

Vélo, vélo, dodo
Le soir, on s'arrête dormir, souvent pour bivouaquer, à des altitudes où le mercure ne monte pas bien haut. On partage nos bons petits plats et on se réchauffe autour d'un feu, pour tenir – tant bien que mal - jusqu'à 20h ou 21h... Au réveil il fait souvent -5°C ou -10°C, et l'eau a gelé dans les gourdes et les vaches à eau...
A deux reprises nous sommes accueillis dans des villages et logés chez des familles tibétaines : l'occasion de découvrir l'intérieur de ces splendides maisons de bois et de terre, aux poutres massives mais très finement sculptées et colorées. 3 générations partagent le même toit, plus les animaux au rez-de-chaussée ; on vit au premier étage dans de vastes et hautes pièces sobrement meublées.
Un soir, juste derrière un col à 4300 m, nous nous arrêtons dans une baraque de cantonniers, et passons la nuit tous les six dans une pièce qui semble servir à la fois de bureau, de garage pour les motos et de poulailler.
Dans les descentes au petit matin, alors que le soleil est encore caché derrière un versant, les mains et les pieds deviennent vite quatre glaçons ; quand le soleil arrive enfin et déverse sa bienfaisante chaleur sur nos extrémités congelées, on ressent ces terribles picotements qui marquent le retour de la circulation : aïe aïe aïe, ça fait très mal !

Six fois plus motivés !
Ces quelques jours partagés avec d'autres cyclistes nous permettent de confronter nos habitudes quotidiennes, nos petits trucs et astuces, notre rythme, nos goûts et... nos biscuits !.
On est pas forcément les plus rapides à vélo, en revanche on décolle particulièrement vite le matin : en 1h30 on est prêts à décaler d'un bivouac, voire 1h si il n'y a pas la tente et les duvets à plier... Dans le jargon, nous sommes des « early starters » ! Par ailleurs, on préfère toujours les campagnes habitées aux grands espaces désertiques, et les hébergements chez l'habitant aux bivouacs sauvages. Et puis, bien sûr, nous sommes aussi des voyageurs plutôt légers par rapport à la moyenne, omnibulés qu'on est par le moindre kilogramme gagné !
Partager la route à 6, c'est adapter son rythme et ses habitudes pour que le groupe fonctionne. Pas forcément facile à chaque fois ! On aurait peut être préféré déjeuner ici, bivouaquer là-bas, s'arrêter plus tard, partir un peu plus tôt ou rester faire une pause ici. C'est un excellent exercice de vie, qui nous fait beaucoup réfléchir sur notre tolérance, notre esprit d'équipe...
Mais c'est surtout une super motiv' pour avancer et tracer la route dans des conditions pas faciles tous les jours... Alors merci à vous les p'tits suisses, c'était vraiment cool !

28 ans au Tibet
30 octobre, 7:00 (Beijing Time) : ce matin là, il y a 4 compagnons de route à me souhaiter mon anniversaire, en plus d'Elise... ça c'est gentil ! Nous partageons une assiette de biscuits d'anniversaire pour le petit déjeuner, puis prenons la route. Après avoir franchi notre dernier col à 4000, nous attaquons une descente sur de la mauvaise piste. Depuis hier nous avons quitté le bitume et roulons sur un mélange de terre, de sable et de cailloux. La descente secoue, fait mal aux dos et aux poignets... jusqu'à ce que, au bout de 10 km, surprise... voilà du bitume ! Il ne nous quittera plus jusqu'à Shangri La. Pour mon anniversaire, la Chine m'offre 110 km d'asphalte, non prévus au programme. Vraiment, c'est trop gentil, fallait pas !
Le soir, nous fêtons tout cela autour d'un bon feu, dans une petite cabane de berger, avec bières, cacahuètes, et une bouteille de vin rouge chinois transportée en cachette dans les sacoches de Simone.

Epilogue
Enfin, après huit jours de vélo, 250 km et 14 cols (dont 8 à plus de 4000m), nous arrivons enfin dans la ville de Shangri La, aux portes du Yunnan. Banques, supermarchés, magasins de sport et douche chaude... c'est un peu le retour à la civilisation !
La vieille ville a été envahie par le tourisme, bourrée d'échoppes à souvenir (queue de yak, corne de yak, peau de yak...), de magasins d'équipement de randonnée, et de restaurants proposant des « traditional tibetan food ». C'est dans un de ces restos, au demeurant fort sympathique, que ce soir là nous fêtons tous les six la fin de notre périple commun. On est sans doute en manque de protéines alors on se rattrape allègrement : steak de yak, pizza au yak, burger au yak... une vraie petite orgie !

Nos jours en Chine sont comptés et nous ne restons donc qu'une nuit à Shangri La, pour reprendre la route du Sud. Direction les tropiques, mais avant ça les mecques touristiques de Lijiang et Dali... La suite au prochain numéro !
Les photos :

20111024 - China 5 Kangding Litang

20111101 - China 6 Litang ShangriLa
Vous y verrez le monastère de Kangding, la route de Litang en autocar, la lamasserie et le marché de Litang, les paysages, les habitants et les bivouacs sur la route de Shangri La, les photos déjantées en haut des cols... Merci aux petits suisses photographes qui nous ont permis d'avoir quelques photos... de nous !

6 commentaires:

prof skotland a dit…

Bon anniversaire Thomas!!!!!!!!! J'adore lier votre périple et j'ai hâte de vous l'entendre dire. On vous embrasse depuis Plougastel!

laitis et seb a dit…

deiz ha bloaz laouen dit!
laitis et seb.

philippe du Mans a dit…

les photos, les photos !!!!

Fanch a dit…

Bon anniversaire Thomas !!

Force et courage pour la suite. Haut les jarrets .... et continuez à vivre ces belles émotions ... et à nous les faire vivre par écrit !!

Fañch (CORNIC)

Philippe St Brieuc a dit…

Quelle énergie !!

...et utilisée à bon escient !
Il faudra mettre en place, à votre retour, sous l'égide de l'ALE, un stage "comment vivre avec peu de kw/h sans déprimer"
...et expliquer que les dénivelées de St Brieuc restent raisonnables

Ronan a dit…

Ces récits et les photos qui les accompagnent font vraiment rêver! Bon courage pour les prochaines ascensions s'il y en a encore au programme, je sais ce que ca fait aux jambes...:)