jeudi 29 septembre 2011

Derniers cols avant la Chine...

Des cailloux, de la poussière et de la tôle ondulée

Lorsque nous quittons le paradisiaque Song Kol, c'est pour emprunter une longue et mauvaise piste et rejoindre, via Kazarman et Jalal Abad, la vallée de Fergana. Et, de là, la Chine.

On commence par dévaler 600 mètres d'un coup sur une piste qui vient dessiner une trentaine de lacets dans le versant abrupt de la montagne. A mesure que l'on descend, le revêtement empire, les cailloux en forme de galets envahissent la piste. On poursuit notre descente tant bien que mal et arrivons finalement en vue de la large vallée de la Naryn. Au village de Kutka, on s'arrête déjeuner d'un bol de lagman, et faisons quelques provisions : quatre paquets de nouilles chinoises, 1 litre de confiture, deux sacs de biscuits secs.

On poursuit notre route vers Kazarman. La piste est si insupportable que parfois il vaut mieux la quitter et rouler sur le sol aride de terre craquelée qui la borde, au milieu des buissons épineux, en suivant d'hypothétiques traces de chevaux et de véhicules.

Le lendemain, on doit grimper un col à 2800m, puis redescendre. Puis remonter de 300m. Puis redescendre. Cette piste est un enfer. Nos petits vélos sont sales comme jamais (et nous aussi!) ; la poussière s'incruste dans toutes les parties sensibles. Nous prenons le pli de les dépoussiérer soigneusement tous les soirs, armés d'un chiffon et d'une brosse à dents. Nettoyer la transmission est le minimum syndical, mais un coup sur les freins et les câbles ne fait pas de mal non plus...

Nous trimbalons plus de 10 litres de flotte avec nous, car l'eau est ressource rare sur cet itinéraire. Nous croisons une rivière dans l'après-midi, nous y faisons le plein et nous lavons tous les deux presque entièrement. Nous filtrons toute l'eau que nous buvons, ce qui représente un petit exercice physique supplémentaire qui vient agrémenter nos pauses : faire passer trois litres d'eau à travers un filtre à céramique de 0,2 microns nécessite un peu d'huile de coude !

Les kilomètres défilent lentement, trop lentement. En montée, on ne dépasse guerre les 5 ou 6 km/h, et maintenir le vélo en équilibre entre les cailloux et les bosses de la tôle ondulée requiert une attention permanente. En descente, on ne profite même pas, arc-boutés sur nos freins à zig-zaguer sur toute la largeur de la piste, d'un côté puis de l'autre, pour essayer de trouver le meilleur revêtement.

- C'est comment où t'es ? - Pas trop mal !

A 17 heures, on a parcouru 55 km, et on est épuisés comme après une journée de 100 km ! On s'est fixé 60 comme objectif. On vise la dernière petite montée, face à nous, et on se prend à rêver :

- Derrière il y a sûrement une prairie parfaite pour camper, avec de l'herbe bien tendre...
- Et plein d'autres cyclos qui y font étape ce soir !
- D'ailleurs il y a sûrement une auberge de jeunesse.
- Qui nous servira une bonne omelette aux herbes et aux champignons.
- Et une délicieuse tarte aux poireaux !
- Et de la crème brûlée !
- Et des bières bien fraîches en pression !
- Je sais : derrière ce col, il y a le Bar de la Plage !!

Lorsqu'on passe finalement le petit col, 5 km de descente nous attendent : en bas, une petite maison en terre, toute seule, isolée. Elise prévient :

- S'il n'y a pas de femmes, on ne s'y arrête pas !

C'est qu'on a pas spécialement envie de passer la soirée avec un bucheron solitaire alcoolique... Deux chiens aboient lorsqu'on passe, au ralenti, devant la maison. Une vieille dame et trois petites gamines pointent leur nez par la porte et rappellent leurs chiens, puis nous font signe de venir. Une autre femme nous invite au thé ! Voilà, c'est là que nous passerons la nuit ce soir, chaleureusement accueillis et nourris par Burmagül, sa mère et sa belle-soeur !

Le lendemain on passe trois, peut-être quatre petits cols dans la matinée. De ces cols si insignifiants dans le vaste paysage accidenté qui nous entoure, qu'ils ne portent même pas de nom...

On maudit l'abruti de topographe qui a tracé cette route, comme s'il avait voulu prendre un malin plaisir à nous faire grimper sur les versants et redescendre dans les vallons. A quelques kilomètres à vol d'oiseau d'ici coule paisiblement le fleuve Naryn : longer ses berges aurait sans doute été une option bien plus intelligente pour éviter tout ce dénivelé. Le soir venu, on lira dans notre guide que la route fut construite en 1903 par les militaires russes... tout s'explique ! En attendant, on jure, on s'énerve, on dérape, on crie, on maudit l'imbécile de topographe, on se demande ce qu'on peut bien foutre là, mais on avance tant bien que mal...

Enfin, peu après un village, la piste amorce une longue descente pour rattraper la vallée de la Naryn. Nous traversons le fleuve et, enfin, arrivons à Kazarman. La ville s'étale dans de longues rues paresseuses, où déambulent vaches, ânes et chevaux. Ville tranquille, ville morte, ville fantôme ?

On nous indique une maison d'hôtes où passer la nuit : nous toquons, franchissons le portail, et trouvons dans la cour 4 personnes et 2 vélos : Frédérique et Audrey sont deux randonneuses françaises en vacances au Kyrghizstan ; Lorenzo et Lisa voyagent à vélo depuis le Kazakhstan jusqu'en Chine. Il est belge et elle est hollandaise. Soirée improbable mais tellement agréable, à boire des bières sur la terrasse et se raconter nos voyages respectifs...

Retour en vallée de Fergana

Après Kazarman, c'est le col de Kaldama, 3060m, qui nous attend. Sur une piste toujours éreintante, on rejoint le pied de la longue montée vers le col, et bivouaquons là.

Le temps est couvert, plutôt frais, et on est fatigués de cette nouvelle journée de montagne russe sur de la mauvaise piste. De plus, on est pas très satisfaits de notre lieu de bivouac, et un semblant d'inquiétude nous habite en pensant à la difficile ascension du lendemain. Pour couronner le tout, voilà le filtre en céramique qui casse brusquement pendant la rituelle opération de filtrage de l'eau... Décidément, ce soir, c'est bivouac de mauvais poil !

La montée au col, le lendemain, s'avère bien plus facile que ce qu'on imaginait. On arrive au sommet presque surpris, d'autant plus que l'altimètre avait 200 m d'erreur... De l'autre côté, on croise Mat, un cyclo anglais parti de Pékin, en route pour Manchester... On discute longuement sur le côté de la route, puis un petit gamin sorti de la yourte juste à côté vient nous offrir du pain, du beurre et de la crème, du fromage, du thé... Moment magique !

C'est marrant, on a jamais eu une aussi mauvaise piste, et en même temps on a jamais rencontré autant de cyclistes : hier, trois allemands, un espagnol et une anglaise... et Mat nous apprend que deux français en vélo couché le suivent à une demi-journée...

Nuit dans un jardin, puis suite de la descente vers Jalal Abad le lendemain. On a retrouvé le bitume, et filons à toute allure avec le vent dans le dos, sur un agréable faux plat. On dépasse Jalal-Abad, et continuons jusqu'à Ozgen, où nous arrivons avec 100 km au compteur. Le seul hôtel de la ville est correct, si ce n'est que douche et WC ne sont qu'une seule et même petite cabine avec un trou au milieu. La patronne est insupportable, elle nous aboie dessus... vraiment pas accueillant.

Le lendemain nous sommes à Osh, deuxième ville du pays. Dans un petit appartement qui sert d'auberge pas chère pour baroudeurs (4 euros/pers), on rencontre un australien qui est venu de Malaisie à vélo, mais veut poursuivre son voyage à cheval. On est tous un peu les uns sur les autres, mais c'est ça qu'est bien ! Et l'ambiance est bon enfant... On partage notre piaule avec un turc, une japonaise, et avec Adam, un cycliste néo-zélandais.

Au marché, les échoppes incendiées, les murs noircis, les vitres éclatées, les carcasses rouillées des hangars effondrés donnent une triste ambiance à la ville. Osh a été le théâtre d'affrontements sanglants en 2010 entre ouzbèkes et kyrghizes.

Derniers cols avant la Chine

De Osh, il n'y a plus que 4 cols à nous séparer de la Chine. Le col de Chyiyrchyl, 2389m, n'est qu'une formalité. Puis on se dirige vers le col de Taldyk, 3615m. Les chinois travaillent d'arrache-pied pour finir de bitumer la route, et le tronçon le plus haut est encore une piste fort poussiéreuse. Mais quelle surprise nous attend de l'autre côté : face à nous, de l'autre côté de la jolie vallée de Sary-Tash, les hauts sommets enneigés du Pamir s'élèvent à plus de 6000 mètres, dominés par le Pic Lénine, à 7134m.



7 commentaires:

Julien LQ a dit…

Bravo pour cette parti de montagne russe ! Et bonne route en Chine !

Yann a dit…

J'ai hâte de lire vos aventures en Chine...

philippe du Mans a dit…

un petit bonjour de Sarthe pour vous encourager à pédaler et à rester zen !!!!
vive les cyclos !!!
les voyages,c'est du rève en 3D !!!

François a dit…

C'est toujours aussi passionnant de lire vos aventures !! Trop cool !!!
J'espère que tout se passe bien. Bon courage pour cette belle traversée de Chine, ..... et du reste du monde. Un nouveau cap en perspective.
Perso, je viens de passer le cap des 30 ans depuis le 19 août, avec une fête super symap qui s'est déroulée samedi dernier.

François
Bref, .... tout ça pour vous dire bon courage ..... et haut les jambes.
Bravo à vous et à bientôt en ligne, pour continuer à découvrir les merveilles que vous nous faites explorer !!

Anonyme a dit…

merci à vous de nous offrir cette belle aventure , c'est un plaisir de vous lire régulièrement , un vrai roman d'aventures le tout agrémenté de magnifiques photos ...
Bon courage à vous deux sur vos "chevaux de fer "
2 pluzunetois ...

caro 29 a dit…

coucou vous deux. Vous nous envoyez vraiment du rêve!!!... Merci de nous faire voyager. Bonne continuation ;) le bonjour du champ d'éolienne ... Caro

Julien LQ a dit…

D’après la carte vous avez atteins Shanghai !
Le contraste doit être saisissant avec les paysages traversés auparavant ! Bon courage pour ce retour ans "le monde moderne" !