mercredi 21 septembre 2011

Au pays des yourtes, des chevaux et des montagnes

Décollage immédiat
Tash Komur, jeudi 8 septembre. De crainte de ne pas avoir le temps de faire notre boucle kirghize dans le temps imparti par notre visa, nous décidons d'embarquer dans un taxi partagé vers le nord du pays. Mais à peine avons nous parcouru 50 km que nous regrettons... La route est en très bon état, le trafic très tranquille et surtout, les paysages sont magnifiques : de barrage en barrage, dans des gorges encaissées, nous remontons le cours du fleuve Naryn, et contournons le lac de Toktogul, d'un bleu profond. Par les fenêtres de notre petit van défilent des reliefs surprenant et colorés. Puis nous nous engageons dans un joli vallon boisé, le long d'une petite rivière, jusqu'au col d'Ala-Bel. Après les déserts iranien et ouzbèke, le changement est radical ! 


Juste derrière le col s'étendent des jailoos, ces grandes steppes peuplées de chevaux, de moutons, de vaches et de yourtes. On en peut plus, on bout d'impatience de rouler dans ces étendues. C'est plus fort que nous, alors on craque et on demande au chauffeur, qui ne comprend pas bien pourquoi, de nous laisser là, à 100km de notre destination initiale. En quelques minutes, nos petits vélos sont remontés, et nous, parés de nos vêtements chauds. Avec l'altitude, nous avons perdu plus de 15 degrés. C'est un pur bonheur : on descend tranquillement la route, les yeux grands écarquillés pour découvrir ces nouveaux visages, ces nouvelles habitations, ces nouveaux paysages... Le soir on trouve un joli petit bivouac pour planter notre tente et on se couche en ayant l'impression d'avoir pris un avion. 

Confiture et sauna 
Après trois jours de piste dans la vallée de la Suusamyr, nous arrivons au petit village de Kyzart par un temps orageux. On ne se voit pas planter la tente ce soir car il y a trop de vent. On reprend donc nos habitudes turques et nous dirigeons vers la mosquée du village. L'imam nous oriente vers une maison voisine, où nous sommes accueillis avec du thé, du pain, de la crème et une succulente confiture de fraises. Alors qu'on essaie de se faire comprendre par la gestuelle pour savoir s'il va pleuvoir demain, la famille comprend que nous voulons prendre une douche. On nous emmène dans une petite cabane en bois, au milieu du village, où nous découvrons à notre grand étonnement … un sauna ! Comme il n'y a pas l'eau courante dans les maisons, un sauna municipal est ouvert quelques jours par semaine. Une surprise bienvenue après plusieurs jours à nous débarbouiller dans l'eau froide des rivières ! Cela nous fait l'effet d'un calmant et ce soir là, nous nous couchons à 8h du soir... 

La clé de 16 du paradis 
Au petit matin, nous quittons la famille, une soupe de pommes de terres et d'abats de moutons dans le ventre. Nous voilà prêts à affronter la montée jusqu'au lac de Song Kol, un lac glaciaire, perché à 3000m d'altitude. La carte est peu précise, et les indications des locaux encore moins : hier soir deux jeunes à cheval nous avaient annoncé 20 kilomètres de montée ; ce matin notre hôte nous parle de 30, et plus tard sur la route un noble vieillard juché sur un beau cheval noir nous indique 100 kilomètres de piste jusqu'au lac ! Nous commençons à grimper sur une jolie piste qui serpente dans les versants herbagers d'un petit vallon, et suivons les dizaines de mètres défiler lentement sur l'altimètre. A 2400 m, on s'arrête le long du ruisseau pour y faire une petite lessive. A 2600 m, on grignote une poignée de cacahuètes enrobées de sésame. 2700 m, on filtre 3 litres d'eau, et on remplit nos gourdes. La piste se fait ensuite plus raide, et la terre cède la place aux cailloux. Les pneus dérapent sur les rocs, l'équilibre est difficile à basse vitesse, les embardées et les pieds à terre de plus en plus fréquents. 2800 m, nouvelle pause grignotage. En repartant, CRAC ! Voilà la chaîne du vélo de Thomas qui lâche subitement, sur une piste où nous avons croisé en tout et pour tout depuis 4 heures qu'une voiture et un cavalier... 


Je prévoyais la fin de vie prochaine de la chaîne et de la cassette de pignons, et je transporte donc dans mes sacoches une cassette et une chaîne neuves, livrée par mes parents à Tashkent. Plutôt que de changer par anticipation, j'ai préféré attendre les vrais signaux d'usure...Dommage ! Car, course à la légèreté oblige, toute la boîte à outils du bon bricoleur à vélo n'a pu rentrer dans nos sacoches. J'ai ainsi choisi d'emporter un démonte-cassette, mais pas la clé de 16 nécessaire pour le faire tourner, faisant le pari suivant : un démonte-cassette, c'est pas facile à trouver, mais c'est léger, mieux vaut l'avoir avec soi ; une clé de 16, c'est lourd mais on en trouve partout dans le monde, jusque dans les patelins les plus reculés... Enfin, à Song Kol, on en doute quand même ! 
Impossible donc de remplacer maintenant la cassette de pignons. Et monter la chaîne neuve sur la vieille cassette, que je dois de toutes façons remplacer, serait du gâchis. Je dois donc me contenter d'une réparation de fortune : je remplace la paire de maillons défectueuse. 10 minutes plus tard, nous repartons, et PAF !, deuxième rupture, c'est un autre maillon qui lâche... Je répare une deuxième fois, avec une autre paire de maillons de rechange. Mais je n'insiste pas, la pente est trop raide, le vélo trop chargé et la piste trop mauvaise... Bref, la tension demandée à ma vieille chaîne est bien trop forte... Tant pis pour moi, je poursuivrai en poussant le vélo. 
50 mètres plus haut, Liv est épuisée, il est déjà 15 heures et la vraie faim se fait sentir. Une poignée de cacahuètes n'y peut plus suffire, il faut du costaud, alors on sort l'artillerie lourde. On s'affale sur le bord de la piste et sortons des sacoches la petite boîte de paté Henaff qui nous reste de l'approvisionnement de Tashkent : un vrai régal sur du pain frais de ce matin, avec une tablette de Milka en dessert... voilà un déjeuner réparateur ! 
300 mètres nous séparent encore du col, on les grimpe tant bien que mal, en poussant nos vélos. Et enfin, au détour d'une épingle, sans prévenir, la vue se dégage brusquement sur un immense plateau, bien plus grand que ce que l'on imaginait, et au milieu duquel s'étend un vaste lac bleu profond : le voilà ce fameux Song Kol... 

La saison est déjà bien avancée, mais il reste ça et là des campements nomades : les yourtes sont éparpillées sur le plateau comme des marguerites dans une grande pelouse, ou comme l'écrit poétiquement Ella Maillard « comme des œufs de mouche sur un pli de viande avariée ». Des troupeaux de chevaux, de moutons et de chèvres déambulent en liberté dans cet immense espace où règne un silence assourdissant. Le spectacle, contemplé depuis le col, est grandiose. Nous prenons le temps de nous en imprégner, avant de descendre tranquillement vers le lac sur une piste qui devient rapidement une simple trace au milieu des herbes, comme un doux tapis de velours. Quel plaisir de descendre sur ce ruban de feutre après avoir poussé le vélo dans les cailloux ! On se laisse guider par les chemins traces. Elise repère une yourte à proximité où deux chiots mignons comme tout aboient gentiment. Lorsque Thomas franchit le petit ruisseau qui nous en sépare, CRAC !, voilà la chaîne qui re-casse une troisième fois. « Putain ! », crie-t-il dans un coup de colère, mais Elise est déjà toute affairée à faire des papouilles aux deux chiots sous le regard amusé d'un petit gamin de 3 ans, et la maman qui sort de la yourte nous invite à prendre le thé... Nous avons trouvé notre famille d'adoption pour 2 nuits ! 


Nous voilà sous la yourte, à nous régaler à nouveau d'une délicieuse confiture sur du pain maison, tout en sirotant thé sur thé. Le père Cemil, et son fiston de 12 ans, Mered, sont bientôt de retour au foyer et je leur explique mon souci : trouver une clé pour pouvoir manœuvrer mon démonte-cassette. Mered, du haut de ses 12 ans, est vif comme l'éclair : en deux secondes il a compris et me ramène une petite pince. Ici, ils n'ont rien de mieux. Il me regarde attentivement décharger les sacoches, retourner Aranda, démonter la roue et sortir ma petite trousse à outils. Et nous voici, lui à tenir le fouet de chaîne pour maintenir la cassette, moi à serrer fermement la pince en essayant de faire tourner le démonte-cassette... sans succès, la pince dérape à chaque coup. Le père, qui suit également l'opération, semble soudain avoir une idée. Du petit étui en cuir qu'il porte en bandoulière, comme tous les nomades croisés sur le plateau, il sort une vieille paire de jumelles, et regarde au loin chez la yourte des voisins : oui, il y a du monde ! Ceux-là ont une auto, ils doivent bien avoir des outils ! Sitôt dit sitôt fait, nous filons à travers le plateau chez les voisins, lui à cheval et moi avec Buzuk. Le voisin n'est pas là mais sa femme nous laisse fouiller dans la caisse à outils dans la voiture : bingo ! Voilà une clé de 16 ! Mais halte là jeune homme, on ne repart pas comme ça sans avoir bu un petit kymyz ! Cette fois, il faut y passer, et tout à ma joie d'avoir finalement trouvé ici, en plein cœur du Kyrgyzstan, sur un plateau désert à 3000 mètres d'altitude, l'outil qui me manquait, j'avale sans broncher mon bol de lait de jument fermenté. C'est acide et ça pique, mais c'est excellent pour la santé, parait-il ! 
De retour chez Cemil et Djepar, à l'aide de Mered, je change la cassette, je nettoie à fond les dérailleurs et le pédalier, j'installe la nouvelle chaîne... Aranda est prête à repartir, la transmission comme neuve ! 

Instants de vie de nomade 
Cemil et Djepar ont 4 enfants. Chaque année, ils installent leur yourte au lac à partir du mois de mai et jusqu'au mois d'octobre. Ils montent avec leurs animaux (12 juments, 1 vache et une trentaine de brebis), et ceux qu'on leur a confiés. Cette année ils ont donc plus de 200 brebis et chèvres. Chaque matin, Djepar trait sa vache puis écrème le lait, et Cemil part à dos de cheval mener les brebis et chèvres pâturer. Les juments sont traites le soir et laissées en liberté toute la nuit et la journée... Mered est très doué pour retrouver tous ces troupeaux au milieu des autres, et les faire rentrer a la maison. 
La famille est presque auto-suffisante en nourriture. Heureusement car leur seul revenu est celui du gardiennage des animaux : chaque brebis ou chèvre gardée 5 mois au lac leur rapporte 1,50 euros. Les nuits sont fraîches et nous apprécions dormir dans la yourte, même si nous sommes coincés entre les bouts de viande de cheval à sécher, la panse d'estomac de mouton remplie de beurre et le caillé de fromage... 

Les yourtes ne sont pas bien grandes, mais pas besoin de plus. Un poêle, alimenté toute la journée par des bouses de vache sèches ou du charbon, sert à faire cuire le pain, chauffer l'eau pour le thé et mijoter la soupe... Le petit panneau solaire aperçu à l'extérieur est relié à un bijou de technologie chinoise : un caisson bleu qui renferme une batterie de voiture, et sur la façade duquel sont enfichés un fusible, une rangée de prises 12 V pour brancher des ampoules, deux hauts parleurs et un auto-radio. Le yourto-radio, appelons-le ainsi, débite en boucle une musique pop kyrghize fort amusante, sorte de turbo-folk local lourdement rythmé et agrémenté du chant aigu et enjoué de quelques chanteuses folkloriques déclamant les merveilles du Kyrghizstan... C'est fantastique ! La radio ne fonctionnant plus, nous offrirons à Cemil notre petite radio portable. Il en était tellement content qu'il l'a trimbalé avec lui toute la journée et du coup on l'entendait revenir… 


Après deux jours de repos au lac Song-Kol, nous reprenons la piste pour rejoindre la vallée de Fergana puis la frontière chinoise.
Voila encore quelques photos pour vous faire rêver...
20110913 - Kyrghzstan 1 TashKomur SongKol

6 commentaires:

Jaja a dit…

Roh, je suis fan, on dirait mon jardin ! pouarfff !

Anonyme a dit…

Wow, we haven't word to explain the emotions when we saw your pictures and read your story. Fantastic!

Gigi e Francesca

Anonyme a dit…

ENORME, ce changement de cassette et de chaîne sur un plateau Kirghiz...
MAGINFIQUE, cette rencontre des nomades...
GENEREUX, ces récits (et images!) que vous nous offrez...

Merci, et bon vent vers la Chine !

Erell

JMO a dit…

Ne jamais quitter la maison sans sa clé à mollette...
Merci de nous faire partager vos aventures fabuleuses !
JMO.

Yann a dit…

Impressionnant!
Merci de partager tout ça!

philippe du mans a dit…

quand je vois ce sourire, ces gens et ces paysages, je me dis :
"YAPUKA !!!!"