mercredi 17 août 2011

Le tchador et l'anti-filtre

Après la Turquie des champs, nous sommes partis à la découverte de l'Iran des villes... Nos petits vélos ont quant à eux fait route à part : ils ont voyagé seuls, comme des grands, dans un train pour Mashad à l'est de l'Iran, où nous les avons retrouvés après 2 semaines de tourisme dans les magnifiques cités perses d'Esfahan, de Shiraz et de Yazd.

De ville en ville nous avons été accueillis par des couch surfeurs iraniens, tous plus gentils les uns que les autres, et constamment prêts a rendre service. De jeunes couples trentenaires en familles traditionnelles, nous avons essayé de mieux percevoir le quotidien de tous ces individus ayant vécu une révolution, une guerre de 8 ans et actuellement dirigés par un régime totalitaire...

Bienvenue au pays des interdits et de la censure...

De l'interdiction de boire de l'alcool et de se promener avec des jeunes du sexe opposé, à celle de critiquer le gouvernement, en passant par l'interdiction d'installer une antenne satellite pour accéder aux chaînes du monde entier, la liste est longue... « Ici tout est interdit. Je ne veux même pas de vacances car je ne saurais pas quoi faire ! » nous dira un jeune de notre âge.
Sur les trottoirs on croise de très nombreux militaires, policiers et soldats. Difficile de s'y retrouver car il nous semble qu'aucun n'a le même uniforme... Point commun : ils sont le support de l'appareil politique de la République Islamique, et sont donc là pour faire respecter les lois. Nous, touristes, nous ne risquons pas grand chose mais nous avons instantanément ressenti le climat d'angoisse et de méfiance qui règne en permanence.
Vous pensez bien qu'internet est filtré : Facebook, You Tube, mais aussi certains articles du Monde.fr et même notre blog est inaccessible. On ne saisit pas toujours les raisons de ces censures, mais c'est comme ça !
Mais la censure peut peu de choses face à l'ingéniosité des geeks et des pirates de l'informatique. Des « anti-filtres » ont vite été développés, et tous les internautes iraniens ont installé un de ces logiciels pirates qui permet de se connecter à Internet au travers d'un serveur proxy distant, doté d'une adresse IP étrangère et qui ne subit donc pas le filtrage...

...où la religion est omniprésente...

Qu'on l'aime ou ne l'aime pas, la religion est partout : avec les minarets des mosquées dominant les paysages, les portraits des éminents imams Khomeyni et Kameni placardés à chaque coin de rue, avec les tchadors et les voiles habillant les femmes, avec les mollahs monopolisant les chaînes de télévision.
Un jeune architecte nous a dit : « Ici tout est lié à la religion même la construction de toilettes ! Il est interdit de les orienter dans le sens sud-nord de peur de montrer ses fesses a la Mecque ! ».
Pour autant, la plupart de nos rencontres en Iran ne correspondent pas exactement aux clichés qu'on peut se faire de la population de la République Islamique... mais elles sont représentatives d'une certaine frange de la jeunesse iranienne, à Téhéran ou dans les autres grandes villes du pays. C'est cette jeunesse dépeinte dans les Chats Persans, ou dans Persepolis, qui haït son gouvernement, écoute du rock et garde de la vodka au frigo.
66% des iraniennes affirment ne pas aimer porter le voile (ce que je comprends encore plus maintenant) et seulement 10 % de la population ferait le ramadan. Qu'en conclure en termes politiques ? Pas grand chose, dans la mesure où, contrairement à leur régime, certains iraniens savent marquer la différence entre leur foi et leurs idées politiques. D'autres non : 'Je ne fais pas le ramadan, je suis socialiste !'

...et le changement politique, pas pour tout de suite !

La grande majorité des gens en Iran sont déçus par le gouvernement, mais, d'après certains de nos hôtes, bien peu d'entre eux sont suffisamment éduqués et ouverts sur le monde extérieur (Internet, TV étrangère, livres...) pour se rendre compte du caractère particulièrement autoritaire du régime des mollahs, par rapport aux autres pays. Impossible pour eux d'imaginer des alternatives.
« Le changement est possible, mais il prendra du temps. La dernière révolution datant de 30 ans, la prochaine ne pourra pas avoir lieu tout de suite ! » nous dira Mehmet.
D'autre part, beaucoup de jeunes ont été échaudés par les mouvements de 2009, où ils ont perdu des proches, assassinés par la police ou par les milices révolutionnaires. Vu la brutalité du régime, les jeunes ne sont plus forcément prêts à risquer leur vie pour tenter l'impossible.
Trop de gens encore en Iran n’aspirent pas au changement. Au mieux, un basculement politique et un changement de présidence est possible... Ahmadinedjad devra peut-être passer la main. Mais la chute de l'indéboulonnable Guide Suprême, et du régime des mollahs, qui contrôle aussi toute l’économie du pays, ne semble pas être pour demain.
Lorsque l'on évoque le printemps arabe, les avenirs probables pour l'Egypte, pour la Tunisie, pour la Syrie, les iraniens ne se positionnent pas. Ils attendent de voir qui prendra le pouvoir là-bas avant de juger le caractère positif ou négatif de ces révolutions. Ici plusieurs milliers de personnes ont soutenu la révolution en pensant que ce ne pourrait pas être pire que sous le Shah, et pourtant...

Et les femmes dans tout cela ?

Après quasi trois semaines passées en Iran, j'ai hâte de quitter ce pays où l'on vous fait bien comprendre que vous êtes toujours inférieures aux hommes (ce qui est noté textuellement dans le Coran) et où on tente de vous rendre invisible.
Déjà il y a le voile, toujours là pour vous cacher les cheveux et surtout vous faire transpirer. On aperçoit tout de même un certain nombre de jeunes iraniennes qui le porte « à la rebelle », en laissant largement dépasser une mèche de cheveux, voire la moitié de la chevelure... En revanche toute femme se doit de porter un vêtement long qui cachent les bras, le décolleté et les fesses : inutile de venir en Iran pour reluquer les fesses des filles...
Le ressenti de chaque femme par rapport à ces tenues de rigueur se trahit dès qu'on quitte l'espace public pour rentrer dans l'espace privé : la plupart des femmes que nous croiserons, à Tabriz, à Esfahan et à Shiraz, se débarrasse de leur voile dès le seuil de la porte franchi, et troque bientôt la longue tunique pour des habits légers et courts bien plus adaptés à la chaleur de l'été iranien.

Mais il y a aussi le tchador. Ce long voile noir que certaines femmes maintiennent serré dans leurs mains, ou entre les dents lorsqu'elles ont les mains prises, les recouvre de la tête au pied et ne laisse dépasser que l'ovale de leur visage, Ainsi enfermées, elles ne sont plus que l'ombre d'elles mêmes, et leurs silhouettes noires qui glissent sur les trottoirs sont parfois attristantes.. J'ai porté le tchador lorsque nous sonnes allés visiter le mausolée de l'un des douze imams de l'islam chiite...un grand lieu de pèlerinage où il n’était pas question de venir sans ce déguisement. Comme je me suis sentie mal a l'aise et soumise dans cette tenue !
Plus déconcertant que les tenues, il y a les codes de conduite. Dans les bus, ne pensez même pas vous asseoir n'importe où : le bus est séparé en deux parties. Les hommes montent à l'avant, et les femmes à l'arrière. Le bon musulman ne doit pas serrer la main à une femme ne faisant pas partie de sa famille, ni s’asseoir à ses cotés, ni même la regarder dans la yeux... Thomas a le droit à de chaleureux accueils tandis que moi je suis comme invisible. A se demander si j'ai la peste...

L'Iran pendant le ramadan

Se passer de boire, de manger, de fumer, de rire du lever du soleil (4h10) à son coucher (19h45)... Voila ce que tout bon musulman est censé faire pendant le mois du ramadan.
Ici, il a commencé un jour après les autres pays musulmans. Pourquoi ? Et bien tout simplement parce que les hauts responsables religieux du pays ont décidé de montrer au monde entier que l'Iran est différent des autres pays !
Apparemment le jeune n'est suivi que par 10 % des iraniens. Beaucoup ne font qu'un jeune partiel (ils se privent seulement de manger, mais pas de boire ; ou ils jeûnent seulement pendant une partie du mois).
Dans la rue, partout autour de nous, nous croisons quantité de gens qui suivent plus ou moins fidélement ces préceptes... Bien sûr, les restaurants et les pâtisseries font porte close. Les rares établissements ouverts sont voilés d'un long drap, ce qui permet d'ailleurs de les repérer facilement depuis la rue. Mais on voit aussi des gens pique-niquer dans les parcs, et même, ô hérésie, boire aux fontaines des mosquées !

Le rêve d'émigrer

Qu'ils soient architectes ou géologues, économistes ou ingénieurs, les voisins, les amis ou les cousins de nos hôtes, 95% des jeunes de 20 a 30 ans que nous avons rencontré souhaitent partir étudier, travailler et vivre ailleurs. Ils ont tous un projet d'études quelque part dans le monde.
Ainsi, c'est toute une frange de la population qui n'a plus qu'un rêve, celui de fuir ce pays autoritaire où les libertés sont reniées, où la loi islamique étouffe la population... car dans la plupart des cas, le manque de débouchés professionnels n'est pas la première raison invoquée par ces jeunes pleins d'ambition : c'est bien une immense soif de liberté qui les motive tous à aller vivre ailleurs, en démocratie.
Destination favorite : le Canada, pays international pour lequel il est plus facile d'obtenir un visa que pour l’Europe. Mais aussi France, Italie, Suède, Grèce... l'Europe fait rêver.
Ici il est difficile de trouver un boulot : si l'on a pas de contact avec les grandes familles, on est pauvre, et si l'on participe a des réunions à contre courant, on peut se voir refuser la délivrance d'un diplôme (tel que guide touristique)...Quant aux jeunes parents, ils ne souhaitent pas voir leurs enfants être éduqués par des propagandistes. A l’école primaire, les élèves ont 8 livres : 1 de maths, 1 de science, 2 de farsi (la langue) et …. 4 de religion !

Alors que tout le monde veut émigrer vers l'occident, nous nous allons continuer notre route vers l'orient. Nous allons quitter une dictature pour en trouver une autre, le Turkmenistan. Mais nous n'allons pas y rester longtemps, car nous n'avons qu'un visa de transit de 5 jours et nous avons rendez vous avec les parents de Thomas a Tashkent, en Ouzbekistan dans quelques jours.


P.S : Un grand merci a tous pour les commentaires ou les mails : cela nous fait très plaisir

RPS : A venir des que nous aurons une connexion 'normale' , les photos d'Iran et des petites recettes.

4 commentaires:

alain a dit…

Merci pour ce témoignage très éclairant et bonne route.

philippe du Mans a dit…

malgré les différences, je crois que l'Humain fera tout pour survivre et , par conséquent, il négociera toujours avec son Voisin !!!
seul, il ne progressera pas !!!
la Nature étant si belle, qu'il voudra en profiter le plus longtemps possible!!
et sans Voisin, à qui l'Humain pourra -t-il en faire part ?!!!!
le bonheur pour tous n'est plus très loin !!!!! (pédalons !!!)

philppe du Mans a dit…

malgré les différences, je crois que l'Humain fera tout pour survivre et , par conséquent, il négociera toujours avec son Voisin !!!
seul, il ne progressera pas !!!
la Nature étant si belle, qu'il voudra en profiter le plus longtemps possible!!
et sans Voisin, à qui l'Humain pourra -t-il en faire part ?!!!!
le bonheur pour tous n'est plus très loin !!!!! (pédalons !!!)

Yann of the Glande de loup a dit…

Décidément, non seulement vous nous faites rêver par ce projet magnifique qui devrait être obligatoire pour tout être humain, mais en plus vous savez nous apporter un autre regard sur notre si petite planète, et qui nous parait pourtant si immense!
Notamment, mention spéciale pour l'Iran! C'est rare d'avoir un regard de l'intérieur, autre que médiatique, et si bien écrit!
Franchement, merci et bravo pour cette bouffée d'air frais teintée d'humanisme, de simplicité et de décroissance ;-)
Bises et à bientôt