lundi 22 août 2011

Course contre la montre

Nous avons quitté Mashad dimanche dernier pour nous engager dans un petit rallye : rallier Tashkent en 7 jours, pour l'arrivée des parents de Thomas. 1200 kilomètres de désert nous séparent alors de la capitale ouzbèke, la moitié de sable, l'autre de coton.

Acte 1 : de Mashad à la frontière turkmène

Après 3 semaines de vacances, nos petits vélos reprennent du service, et commencent en beauté : nous parcourons 122 kilomètres de Mashad à Mazdavand, record journalier battu !



Le lendemain, nous filons comme l'éclair dans un désert de sable et de caillasse, sur un bitume impeccable. Deux camionneurs nous interpellent et nous offrent une pastèque... Amusant, pour notre premier jour en Iran, nous nous étions également fait offrir des pommes sur la route...

Mercredi 17 août. Nous abordons la frontière turkmène au petit matin. A 7 heures, un policier iranien vient ouvrir la lourde grille du portail, pour nous permettre de pénétrer, comme le précise l'inscription en farsi et en russe sur le fronton rouillé, dans la « zone de transit frontalier de Sarakhs ».
Une fois passées les formalités de sortie on s'oriente vers un pont métallique qui franchit une malheureuse rivière asséchée, qui marque la frontière. Sur le pont, on chante « Ayatollah caca, khomeyni petit zizi »... Je rêvais de voir Elise ôter le bas de son pantalon, arracher violemment son hedjab, et secouer sa crinière aux yeux des soldats iraniens qui gardent le pont... Mais, plus réservée, elle préfère attendre d'être en terrain sûr !
De l'autre côté du pont, on se reformate en mode « turc » pour saluer les soldats turkmènes. Pas de bol, en turkmène on ne dit pas « Merhaba », on dit « Salam », comme en Iran !

Acte 2 : Le Turkménistan

(Enfin) finis les tchadors noirs, ici les femmes portent des longues robes colorées et élégamment taillées. Les hommes ont des dents en or, et les faciès ont très nettement changés : il y a quelque chose de mongol dans ces visages burinés, les yeux bridés, la tête un peu plus aplatie et la peau brûlée par le soleil.
Le désert a fait place, miracles de l'irrigation, à des milliers d'hectares de champs de coton. Nous traversons maintenant ce désert vert confortablement installés dans un taxi. Il fait 45°C dehors. La route est droite à l'infini, parfaitement plate, l'horizon tracé au cordeau... Sur les berges des canaux, les roseaux plient sous un vent puissant et régulier qui souffle du Nord... décidément, on ne regrette pas de parcourir ces 200 kilomètres en voiture !
« Yol yervet, yol yervet! » répète notre chauffeur, en zigzagant entre les nids de poule. « La route est pourrie ! ». En fait, tout est yervet au Turkmenistan, nous confie-t-il : les bâtiments, les routes, les camions, l'économie, la politique...

Palais de marbre blanc et hôtels minables...

Nous arrivons à Mary après 4 heures de route, une performance au vu de l'état de la route. Larges avenues à 3, 4 ou 5 voies, grands bâtiments de marbre blanc abritant diverses administrations, monuments à la gloire de Nyazov, de ses parents ou des victimes de la guerre... bienvenue dans une ancienne République soviétique !


Nous faisons la connaissance de Bakhtir, qui nous conduit dans un hôtel pas cher où il vient de passer la nuit. Le prix (6 manats/personne, soit 1,5 euros!) est à la hauteur du standing de cet hôtel délabré : pas de salle de bain, mais deux trous séparés d'une planche de contreplaqué font office de WC communs. Au mur, un tuyau en PVC pendouille, il est équipé d'une vanne et sert de robinet. Dans les chambres, les vitres ont les carreaux cassés, la porte n'a ni serrure ni poignée, et on dort sur de vieux sommiers à ressorts, couverts d'une couche et d'un drap à la salubrité douteuse.

Bienvenue en vodka-land !

Nous sortons ensuite dans un petit boui-boui du bazar, où l'on nous sert trois bières à la pression bien fraîches... Un vrai régal : voilà plus d'un mois que nous n'avons pas bu une goutte d'alcool !Pour la deuxième tournée, Bakhtir cale à mi-hauteur du verre... Pas de souci, le remède est simple : 100 grammes de vodka ! Aussitôt dit aussitôt fait, le patron lui sert un petit verre rempli à ras-bord, que Bakhtir descend d'un trait. Le teint rougi, les yeux pétillants, il peut ensuite finir son demi de bière tranquillement, tout en poursuivant la conversation avec un ton un peu plus enjoué. Arrivés à la fin du verre, Bakhtir recommande un verre de vodka avant de quitter le bar, les yeux vitreux.


En Iran, il fallait se battre pour payer une addition. Ici, nous devons préciser à Bakhtir que nous ne lui payons que ses deux bières, mais à lui de régler ses vodkas. Les invitations, si nombreuses en Iran, ont disparu. Ici, tout se monnaie, du trajet en voiture jusqu'au gardiennage des sacoches à l'hôtel.
Enfin, après trois semaines dans un pays où l'alcool est prohibé, nous voici arrivés dans une région où la vodka, triste leg de l'occupation russe, envahit les étals des supermarchés et ravage les esprits des hommes. Nul doute, cette frontière que nous avons passé ce matin, elle est loin d'être artificielle !

Ce cher président

Au musée historique et ethnographique de Mary, le plus amusant est, sans aucun doute, la section consacrée au Président Gurbanguly Berdymukhamedov, successeur de Nyazov depuis sa mort en 2004.
Une série de photos, plus truquées les unes que les autres, présentent le cher président des turkmènes dans toute sorte de situations abracadabrantes : diplomate, on le voit serrer la poigne aux grands chefs d'Etat de ce monde. Entrepreneur, on le voit inaugurer une usine hydraulique et visiter un atelier de tissage. On le voit aussi en costume traditionnel monter un cheval turkmène, et faire le feu dans une yourte. Sportif, on le voit faire du VTT et jongler avec un ballon de football...



A la télévision, sur les chaînes nationales, on ne voit encore que lui : signer des gros contrats pour la construction d'un nouveau bâtiment pharaonique et inutile, guider la visite de chantier pour les patrons de Bouygues (heureux maîtres d’œuvre de ces chantiers dispendieux), repartir au volant de son rutilant 4x4 blanc...
On croit rêver, mais c'est pourtant vrai ! Au 21ème siècle, il existe encore des pays où le président entretien un culte de la personnalité aussi ridicule, et des populations pour ne pas s'en offusquer outre mesure...

Pour rallier Turkmenabat, nous voyageons en train de nuit. Les vélos trouvent leur place sans difficulté dans le fourgon de queue, à côte d'une cargaison de tapis.

Acte 3 : dernière ligne droite

Nous quittons Turkmenabat le lendemain samedi, à l'aube, pour attaquer la plus longue journée de notre voyage : l'objectif est d'atteindre Bukhara, à 140 km d'ici. Avec en prime une frontière à franchir dans la matinée...
Partis à 5h30, nous parcourons les premiers kilomètres à la fraîche et franchissons l'Oxus (l'Amu-Darya) au lever du soleil, sur un pont flottant fait de barges métalliques amarrées les unes aux autres à travers le fleuve.  


Nous atteignons le poste frontière turkmène à 8 heures, c'est l'ouverture. Une petite foule bigarrée de femmes en robes colorées et d'hommes en tenue du dimanche s'est massée devant la grille. Les soldats turkmènes arrivent prendre leur service et laissent filtrer les gens un par un, en entrouvrant le portail, après avoir vérifié leur passeport.
Petit à petit la « foule » se presse contre le portail, s'impatiente, commence à pousser. Les soldats résistent, ils sont maintenant 5 ou 6 à maintenir fermement la grille. Les gens poussent, râlent, poussent plus fort encore... A deux reprises, les soldats cèdent, la grille s'ouvre en grand et déverse son flot de voyageurs pressés sur le tarmac de la zone de transit.
Apparemment la scène est quotidienne. Cependant, à voir les soldats et leurs fusils en bandoulière, nous craignons qu'elle ne dégénère : un nouveau mouvement de foule, l'énervement de l'officier, des coups de semonce en l'air, puis dans la foule ??

Ce ne sera heureusement pas le cas. 10 minutes plus tard, l'officier nous ouvre la barrière et nous cheminons vers les rituels contrôles de police et de douane turkmènes, puis ouzbèkes. De formulaires inutiles en questions idiotes, ces formalités sont toujours aussi ridicules.
A la douane turkmène : - Vous avez un ordinateur ? - Oui. - Montrez le moi. J'ouvre ma sacoche et sors le petit portable. Je ne l'allume même pas. - Qu'y a-t-il dedans ? - Des « informations touristiques ». – Rien sur le terrorisme ? - Non. - Bien, c'est bon, allez-y.
Chez le médecin ouzbèke : - Êtes-vous en bonne santé ? - Oui. - Diarrhée, fièvre ? - Non, non. - Ceci est un thermomètre, je vais prendre votre température. Il me pointe son pistolet infrarouge sur le front. L'appareil, visiblement pas très fiable, affiche 35°C !! - Bien, c'est bon, allez-y.

Nous sommes finalement « libérés », côté ouzbèke. Youpie, mais il nous reste 100 km à couvrir ! Sur la route, les gens nous saluent ou nous sifflent, les cyclistes locaux viennent rouler quelques mètres avec nous, les enfants nous crient « Hello, hello ! »... On se croirait revenus en Turquie !



Après plus de 8 heures à pédaler et 140 km au compteur, nous arrivons à Bukhara épuisés. Je suis vidé, j'ai mal au ventre, sans doute à cause du soleil, ou d'avoir grignoté des figues et des biscuits secs ouzbeks toute la journée...

Bukhara – Tashkent
Dernière étape de notre rallye ce matin, 15 kilomètres au petit matin pour rejoindre la nouvelle gare ferroviaire de Bukhara. Et nous voici à bord du train Sharq, 2e classe, destination Tashkent... Mes parents arrivent ce soir par avion, nous allons passer 8 jours avec eux pour découvrir Khiva, Bukhara et Samarcande... trois perles de la Route de la Soie ! La suite au prochain numéro...

L'album photo de la traversée Mashad - Tashkent :
20110820 - Mashad-Tashkent

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bon courage les petits vélos, et les jambes qui les animent...
Bien le bonjour des Bauges, ou le Parc Naturel Régional vous présentera ses côtes sympas pour vos mollets durcis à votre retour...

Nicolas PICOU

Anonyme a dit…

Merci, ils sont superbes, c’est Nickel, j'ai hâte d'avoir la petite histoire!!!

A+
Le Timbré

Aela a dit…

Bonjour,

Merci pour ce blog fabuleux!
Nous avons voyagé en Europe à vélo en 2009 avec mon ami rêvons de pouvoir continuer l'Orient...
Alors depuis que j'ai découvert votre site, grâce à Cyclo-Randonnée, je viens régulièrement voir où vous en êtes! Bravo pour ce beau périple, ces belles rencontres et encore merci de nous faire partager tout ça.
Bon vent!
Aëla